La scoliose idiopathique
La scoliose est une déformation structurale et tri-dimensionnelle du rachis, qui apparaît chez l’enfant en cours de croissance. Une fois apparue, rien ne pourra l’effacer et celui qui en est porteur est exposé à en subir les conséquences plus ou moins sévères tout le reste de sa vie :
Une déformation structurale des constituants de la colonne vertébrale
(vertèbres, disques, ligaments), en opposition avec les attitudes scoliotiques, simples incurvations réactionnelles de rééquilibration de la colonne normale, qui, elles, sont toujours réversibles
Une déformation tri-dimensionnelle
car la scoliose n’est pas seulement la classique déviation latérale, mais une déformation beaucoup plus complexe, avec rotation des vertèbres et perturbation des courbures physiologiques sagittales, qui intéresse donc les trois plans de l’espace
Une apparue en cours de croissance
pour la différencier de certaines scolioses apparues à l’âge adulte et qui sont d’origine arthrosique.
Certaines scolioses ont une cause évidente. Ce sont les scolioses dites « secondaires » en rapport avec des malformations asymétriques des vertèbres, des atteintes neuro-musculaires du tronc ou encore certaines pathologies métaboliques, chondrodystrophiques ou endocriniennes. Mais la plupart des scolioses sont apparemment isolées, chez des patients par ailleurs en pleine santé, sans aucun signe pathologique d’accompagnement. Ce sont les scolioses dites « idiopathiques » qui représentent environ 70% de toutes les scolioses.
On peut considérer, sans trop d’erreur, que la scoliose idiopathique touche environ 5% des enfants en âge scolaire.
En l’absence d’un dépistage systématique les circonstances de découverte sont variables et souvent relativement tardives. Au début, la gêne est habituellement inexistante ou modérée.
La découverte par l’entourage familial est souvent fortuite ou à l’occasion d’un examen médical réalisé pour une autre pathologie. L’âge de découverte n’est donc pas l’âge de début de la déformation et il n’est pas rare de découvrir des scolioses déjà très évoluées.

Quelles sont les modalités évolutives ?
Pendant la période de croissance
Par définition la scoliose idiopathique apparaît pendant la croissance à un âge très variable selon les cas. Certaines scolioses sont très peu évolutives et resteront très modérées en l’absence de tout traitement; de ce fait elles sont mal répertoriées. La plupart des scolioses idiopathiques comportent un risque évolutif, parfois très sévère. Ce risque est d’autant plus grand que la scoliose est apparue tôt (scolioses infantiles ou juvéniles). La vitesse d’aggravation est variable, avec pour la majorité des scolioses évolutives une poussée d’aggravation pubertaire, au moment du pic de croissance du segment supérieur, bien schématisée par le diagramme évolutif de Mme Duval-Beaupère.
Nous ne disposons pas actuellement d’éléments fiables de prévision évolutive. En conséquence, la surveillance régulière (2 à 3 fois/an) de toute scoliose découverte est impérative, car c’est elle qui permettra de juger de l’évolutivité et de prendre au bon moment les décisions thérapeutiques les mieux adaptées. Toute négligence dans cette surveillance expose à de sérieux déboires.
A l’âge adulte
Le dogme de la stabilisation des scolioses idiopathiques en fin de maturation, encore trop répandu, doit être aboli ! Il est vrai qu’avec la fin de la croissance, le facteur principal d’aggravation rapide disparaît. Le rythme d’évolution change. Les mauvaises conditions mécaniques de cette colonne déformée viennent prendre le relais et au fil des années les disques, les facettes articulaires, les muscles et les ligaments vont se détériorer pour entraîner une aggravation progressive, lente, mais quasi-inéluctable. Cette détérioration arthrosique prédomine dans la région thoraco-lombaire et lombaire et s’accompagne dans la majorité des cas d’une nette tendance cyphosante. Elle intéresse les courbures principales et les contre-courbures. Les zones intermédiaires dites « jonctionnelles », sièges des changements rapides de rotation, sont soumises à des forces de cisaillement à l’origine de phénomènes d’instabilité encore appelés « dislocations » et caractéristiques des scolioses évolutives à l’âge adulte.
Beaucoup de scolioses idiopathiques continuent donc à s’aggraver à l’âge adulte, elles déclenchent un cortège fonctionnel et parfois neuro-radiculaire, elles perdent leur réductibilité, ce qui complique fortement les possibilités thérapeutiques.
L’examen clinique
Il doit conserver une place primordiale et ne doit pas être relégué au second plan derrière la radiographie qui n’est d’ailleurs pas nécessaire pour faire le diagnostic.
L’examen clinique demande peu de moyens, il est réalisable à tous les âges, par tout médecin, et donne instantanément une vision dans tous les plans de cette déformation 3-D.
Le signe clinique majeur est la gibbosité, traduction directe de la rotation vertébrale.
C’est un signe très fidèle, facile à détecter, sur le patient penché en avant, même pour des déformations encore modérées. L’aspect de profil est évident, il peut être normal avec ses courbures harmonieuses conservées, il peut être modifié en dos plat ou avec des courbures exagérées ou au contraire inversées.
Dès que la déformation prend une certaine importance, et en fonction de sa localisation, d’autres signes cliniques apparaissent et doivent être soigneusement relevés pour juger de l’aggravation au cours des examens successifs :
– l’équilibre global de face et de profil,
– la ligne des épaules,
– le triangle de la taille et toujours l’aspect de profil.
L’examen clinique dynamique permet de juger de la souplesse de l’ensemble de la colonne et de la réductibilité relative des courbures et des contre-courbures.
Enfin, la courbe de taille est capitale à tous les âges.
Chez l’enfant et l’adolescent, pour la surveillance de la croissance et le repérage du pic pubertaire, en association avec le développement des caractères sexuels secondaires
Chez l’adulte, la diminution progressive de la taille est un bon indicateur de l’aggravation de la déformation frontale ou sagittale.
L’examen clinique ne doit pas se contenter d’explorer la colonne, il doit être complet en particulier à la recherche de signes associés qui pourraient mettre sur la voie d’une étiologie et faire sortir cette déformation du cadre idiopathique. Dans cette recherche, l’examen neurologique est capital. La moindre anomalie de motricité, de sensibilité, de réflexes ostéo-tendineux ou cutanés doivent attirer l’attention sur la moelle et déclencher des examens complémentaires.
L’imagerie médicale
Les clichés de référence sont des clichés de rachis en totalité de face et de profil.
Sur le cliché de face le socle pelvien doit être parfaitement de face et équilibré.
Sur le cliché de profil, les membres supérieurs doivent être soutenus sur un support, les mains à hauteur du pubis, pour éviter la superposition et les modifications de posture liées au maintien actif des bras à l’horizontal.
Ces deux clichés permettent une bonne analyse de la déformation et une surveillance efficace. On peut ainsi définir la déformation par son type (unique, double, triple) et son siège (thoracique, thoraco-lombaire, lombaire), mesurer le ou les angles de Cobb, évaluer la rotation, confirmer les défauts d’équilibre frontal ou sagittal constatés lors de l’examen clinique.
Les clichés dynamiques (bending) en inclinaison droite et gauche, et parfois en inclinaison vers l’avant et vers l’arrière, objectiveront la réductibilité et la souplesse relative des divers segments vertébraux en complément de l’examen clinique. Chez l’adulte, on préfèrera souvent le cliché en traction, car l’atteinte lombaire prépondérante et le tassement du tronc qui rapprochent les dernières cotes du bassin, rendent les bending-tests inopérants.
L’IRM n’est pas actuellement considérée comme un examen obligatoire, même en cas de proposition chirurgicale, chaque fois que l’examen clinique et neurologique est strictement normal et que la nature idiopathique paraît certaine. L’IRM, par contre devient impérative au moindre doute neurologique, même mineur, ou devant toute forme d’aspect inhabituel.
Chez l’adulte, l’imagerie complémentaire, TDM, saccoradiculographie et pour certains, discographie, sont fréquemment nécessaires pour un étude précise des zones de blocage arthrosique ou de compression radiculaire qui peuvent être statiques ou dynamiques.
Aucune décision thérapeutique ne doit être prise sur un bilan radiologique seul, sans confrontation avec la clinique. La notion d’aggravation, si capitale pour le choix de traitement, doit être affirmée par un cortège de signes cliniques et radiologiques et certainement pas sur la trop classique augmentation de 5° de l’angle de Cobb, dont la précision est fort aléatoire selon les heures de la journée et la précision de l’observateur.
Les conséquences fonctionnelles
Elles sont variables et différentes chez le jeune et chez l’adulte.
Chez le sujet jeune
Les conséquences fonctionnelles sont souvent modérées, en dehors des formes majeures.
La scoliose idiopathique n’est pas douloureuse et toute douleur notable accompagnant une scoliose doit faire douter de sa nature idiopathique et faire rechercher une autre cause, en particulier infectieuse ou tumorale.
L’évolution spontanée, même sévère, d’une scoliose idiopathique n’entraîne pas de troubles neurologiques médullaires ou radiculaires. Il n’en est pas toujours de même au décours d’un traitement chirurgical.
L’insuffisance respiratoire est réelle et parfois très sévère dans les scolioses thoraciques majeures supérieures à 100°, comme on peut encore en voir dans les évolutions malignes de certaines scolioses infantiles ou juvéniles.
Le retentissement esthétique est diversement perçu, souvent plus par la famille que par l’enfant elle-même. Il est plus marqué pour les scolioses thoraciques, en raison de la gibbosité costale, mais aussi pour les scolioses thoraco-lombaires, en raison de l’asymétrie du triangle de la taille. Il est moindre pour les scolioses combinées.
Chez l’adulte
Les douleurs deviennent plus fréquentes, surtout après 40 ans. Elles prédominent dans la région lombaire. Elles sont la cause première des consultations et des demandes thérapeutiques. Dans ce vaste domaine des lombalgies, il faudra savoir faire la part entre les douleurs mécaniques, concordantes avec les lésions anatomiques et arthrosiques, qui ont des chances de répondre favorablement aux thérapeutiques de la scoliose et les douleurs mal systématisées, plus diffuses qui relèvent souvent d’un certain mal-être, dont les origines dépassent largement la simple scoliose et dans lesquelles le désordre esthétique peut jouer un rôle.
Les radiculalgies ne sont pas rares. Elles sont rarement très intenses et déficitaires, plus souvent intermittentes et peuvent être liées à des sténoses centrales ou foraminales au niveau des concavités ou des dislocations
Les déficits respiratoires des scolioses thoraciques majeures non-traitées poursuivent leur aggravation inéluctable et peuvent conduire les patients dans les services de réanimation.
Le retentissement esthétique et psychologique est variable selon les patients. Il n’est pas toujours proportionnel à l’importance de la déformation. Il est souvent plus marqué à 40 ans qu’à 20 ans et n’a guère tendance à s’estomper avec l’âge.
En conclusion
La scoliose idiopathique n’est pas une pathologie mineure, ni anodine et justifie une prise en charge et éventuellement une action thérapeutique en milieu spécialisé. Ces traitements ne sont pas sans inconvénient, soit par leur contrainte et durée, pour le traitement orthopédique, soit par les conséquences et risques pour le traitement chirurgical.