L’histoire de ma vie professionnelle, depuis mes années d’étudiant, a été jalonnée d’événements imprévus et parfois traumatisants. Ils m’ont dérouté et dirigé vers un champ d’action auquel rien ne me préparait.
Alors que je me destinais à la carrière d’obstétricien et prévoyais de m’installer en Bretagne, je fus subitement envoyé à Berck, dans le Nord de la France, pour y devenir chirurgien orthopédiste.
Je devais y rester trente ans.
Vivant au milieu des malades, le plus souvent des enfants ou des adolescents, partageant leurs soucis, leurs angoisses et aussi leurs espoirs, je me suis passionné pour le traitement chirurgical des déformations de la colonne vertébrale. Un autre destin m’attendait à l’âge de 50 ans.
Je dus cesser définitivement – pour raison de santé – toute activité professionnelle et fus placé en état d’invalidité permanente. Tenu désormais à l’écart de ce qui avait été le centre et l’environnement de mon activité quotidienne, je vécus durement cette période d’inaction et d’isolement total.
Parce que j’étais seul et désœuvré, bien que n’ayant ni les qualités ni la formation de scientifique ou de chercheur, ni les moyens financiers de me lancer dans un ambitieux programme de recherche, mais ayant acquis une certaine expérience concrète du terrain, je me suis remis au travail dans un modeste atelier de bricolage installé dans ma maison de Bretagne.
Mon projet était d’étudier les possibilités d’améliorer le traitement chirurgical des déviations du rachis. Cette recherche devait durer trois ans et aboutir à la mise au point d’une nouvelle instrumentation métallique implantable. Cette instrumentation permet à la fois d’améliorer la correction de la déviation de la colonne vertébrale et de consolider le segment redressé. Grâce à la très grande stabilité du montage, elle autorise la mise sur pieds du patient sans les plâtres et corsets jusque là imposés pendant dix à douze mois après l’opération.
Introduits en 1983 et développés en collaboration avec le professeur Jean Dubousset et le docteur Michel Guillaumat, le concept et la technique de cette instrumentation nouvelle furent rapidement adoptés par les chirurgiens du rachis dans le monde entier.
Aujourd’hui, plusieurs centaines de milliers de patients de tous âges, et pour des indications diverses, ont été opérés avec cette instrumentation ou ses dérivés. Depuis quinze ans, cette innovation a ouvert la route à de constants progrès en chirurgie rachidienne. Mais à l’aube du troisième millénaire, il reste encore beaucoup à faire…
Je désire que les moyens, dont je puis disposer aujourd’hui, servent à poursuivre la recherche au bénéfice d’une pathologie à laquelle j’ai reçu la mission de travailler. C’est dans cet esprit qu’arrivé au terme de ma vie professionnelle, j’ai décidé de créer de chaque côté de l’Atlantique une « Fondation pour la Recherche en Pathologie Rachidienne ».
J’ai rencontré, à travers le monde, de nombreux médecins, chirurgiens et chercheurs qui investissent leurs grandes qualités humaines et scientifiques, avec un désintéressement total dans la recherche, pour améliorer la qualité des soins de leurs patients. Leurs programmes de recherche n’ont pas toujours la possibilité de recevoir l’aide officielle des grands organismes de santé ou des compagnies industrielles qui soutiennent des projets susceptibles de générer des retombées économiques. Ainsi, des projets certainement valables risquent de ne pouvoir aboutir faute de moyens.
Je confie à mes collègues et amis les plus éminents, réunis au sein du conseil scientifique, le soin de sélectionner et de subventionner les programmes de recherche les plus prometteurs, de les suivre et de les promouvoir. Je leur exprime mon estime et ma gratitude. Je dédie cette Fondation à mes patients d’hier.
Qu’elle profite aux patients d’aujourd’hui et de demain de mes collègues médecins et chirurgiens du rachis, d’ici et d’ailleurs. Je remercie le chancelier de l’Institut de France et les représentants des cinq Académies d’avoir bien voulu abriter cette Fondation sous l’égide illustre et prestigieuse de l’Institut de France.
Paris, le 23 janvier 1999