La scoliose
LA SCOLIOSE IDIOPATHIQUE DE L’ENFANCE
Dr Michel GUILLAUMAT
Chirurgien orthopédiste, ancien chef de service de chirurgie orthopédique et pédiatrique
Hôpital Saint Joseph – Paris
La scoliose idiopathique apparaît pendant la croissance et persiste toute la vie. Elle doit être dépistée le plus tôt possible dans l’enfance. De la précocité de sa prise en charge dépend son évolution
Définition
La scoliose est une déformation 3-D, non complètement réductible, et évoluant durant la croissance.
Elle est dite « idiopathique » parce qu’elle apparaît sans aucune cause décelable en l’état de nos connaissances actuelles. La scoliose « idiopathique » n’est pas une simple inclinaison latérale du rachis ; c’est une déformation dans les 3 plans de l’espace (3-D), à la manière d’un escalier en colimaçon. C’est une déformation structurale, incomplètement réductible, quelle que soit la position du corps, debout ou couché.
Elle survient pendant l’enfance, à un âge variable, chez 2 à 4 % de la population et 7 fois plus souvent chez la fille que chez le garçon.
Elle a 10 fois plus de chance de survenir en cas d’antécédent dans la famille.
Elle représente 70 % de toutes les scolioses.
La rotation vertébrale, typique de la scoliose « idiopathique » ?
La scoliose idiopathique doit être distinguée des scolioses « secondaires » à une affection connue survenant dans le cadre d’une maladie plus générale connue ou décelable (neurologique, neuro-musculaire, malformative, dystrophique, génétique, etc.). Les deux formes ont cependant en commun la déformation morphologique.
La scoliose « idiopathique » doit surtout être distinguée des simples attitudes scoliotiques purement posturales, labiles, parfaitement réductibles, surtout en décubitus, qui peuvent être liées à une légère inégalité de longueur des membres inférieurs, une anomalie de hanche, mais le plus souvent une simple mauvaise
façon de se tenir, très fréquente chez l’adolescent.
a) Inégalité de longueur des membres inférieurs
b) Attitude vicieuse de hanche
Enfin, la scoliose idiopathique n’est pas la conséquence de mauvaises habitudes (cartable trop lourd, mauvaise posture, sport asymétrique, surpoids, …) mais bien une maladie à part entière du rachis.
LE DÉPISTAGE DE LA SCOLIOSE DEVRAIT ETRE SYSTEMATIQUE
Trop de scolioses sont découvertes de manière fortuite, aléatoire et donc trop tard.
Le médecin généraliste, qui voit les enfants et les adolescents en consultation, est le mieux placé pour dépister une scoliose. L’alerte peut être donnée par la famille ou l’intéressé en raison d’une mauvaise posture habituelle, d’une asymétrie des épaules ou du pli de la taille, d’une asymétrie mammaire ou d’un dos au profil trop plat.
Le test d’Adams est l’examen clinique clé
Simple et rapide, le test d’Adams se pratique sur un sujet déshabillé, debout, le bassin bien horizontal
– de dos debout, on observe l’équilibre global, la ligne des épaules, la symétrie des omoplates et du pli de taille
– de dos penché en avant, bras pendants, mains jointes, on repère la moindre asymétrie droite et gauche de la région thoracique ou lombaire (gibbosité) qui doit attirer l’attention et alerter sur un diagnostic de scoliose. La présence d’une gibbosité traduit la rotation vertébrale et signe le diagnostic de scoliose structurale.
Si le tronc est parfaitement symétrique, il n’y a aucune crainte de passer à côté d’une scoliose débutante.
La Fondation Yves Cotrel – Institut de France met un court spot de dépistage à votre disposition.
Mais ATTENTION !
– si l’examen est normal, il n’est pas certain qu’il le sera encore l’année suivante. D’où la nécessité de répéter cet examen tous les ans.
– ne pas oublier non plus de vérifier les colonnes des frères et sœurs, en raison du risque supplémentaire des scolioses familiales
– la scoliose idiopathique n’entraîne pas de douleurs chez l’enfant. Une scoliose douloureuse doit faire redouter une cause particulière et en particulier tumorale.
Le médecin peut aussi inciter les parents à pratiquer ce test une à deux fois par an pendant la période de croissance, en profitant d’une occasion où passer outre la pudeur de la préadolescence.
En cas d’anomalie, l’examen clinique doit être complété.
L’examen du rachis note l’asymétrie du gril costal, en direction opposée de la gibbosité postérieure ;
– de profil, la région thoracique est normalement en légère cyphose, mais peut être en dos plat ou même en lordose. De même la région lombaire est normalement en lordose et peut être modifiée en cas de scoliose.
– les inclinaisons latérales (bendings) et antérieures évaluent la souplesse du rachis en général et des courbures en particulier.
L’examen général est un complément indispensable, à la recherche d’anomalies associées à la scoliose qui sortirait alors du cadre idiopathique vers celui d’une scoliose dite secondaire.
– examen neurologique et en particulier réflexes ostéo-tendineux et cutanés abdominaux (syringomyélie)
– recherche d’une hyperlaxité articulaire et cutanée (Marfan) ;
– étude du revêtement cutané à la recherche de taches cutanées (neurofibromatose).
La mesure de la taille, debout et assise, est indispensable pour suivre la croissance de la colonne
Le niveau de maturation clinique (signes sexuels secondaires, pilosité, date des premières règles)
L’examen radiologique doit aussi être codifié pour être comparatif
– Face et Profil stricts, debout, du rachis en entier, depuis les CAE jusqu’au 1/3 supérieur des fémurs
· étude des courbures et des contre-courbures de face et de profil, mais aussi de la rotation ;
· étude de la maturation : têtes fémorales, cartilage triradié, Risser, listels vertébraux
– Main et coude pour âge osseux
Toute autre demande d’imagerie (clichés dynamiques, scanner, IRM) ne sera envisagée que par le spécialiste de la scoliose, et seulement si nécessaire pour la thérapeutique.
Le bilan RX devant être répété à plusieurs reprises en fonction de l’évolutivité et de la croissance, il faut être très attentif au surdosage en radiations, éviter les RX inutiles et disposer de clichés d’emblée parfaitement réalisés et interprétables.
Des techniques radiologiques modernes (système EOS) permettent d’obtenir des clichés parfaitement interprétables avec des doses RX diminuées de 8 à 10 fois, et qui, de plus, permettent une reconstruction 3-D utile pour le pronostic d’évolutivité et pour les décisions thérapeutiques. Malheureusement, cette technique n’est pas encore disponible partout.
Crédit : Institut de Biomécanique humaine G.Charpak
A partir du système EOS de radiographies biplanes à très basse dose d’irradiation, la reconstruction 3D permet d’avoir un autre regard sur les structures articulaires, et en particulier sur la colonne vertébrale
UNE SURVEILLANCE RÉGULIÈRE EST CAPITALE
Si certaines scolioses très modérées sont susceptibles de ne pas s’aggraver, toute scoliose dépistée doit être considérée, jusqu’à preuve du contraire, comme évolutive.
Un suivi s’impose
· 1 fois par an pendant l’enfance
· 2 fois par an pendant la pré-adolescence et l’adolescence.
La scoliose idiopathique apparait chez l’enfant ou l’adolescent et évolue pendant la croissance. L’aggravation se poursuit pendant toute la période de croissance, avec une accélération nette au moment de la poussée pubertaire et une stabilisation seulement en fin de maturation. La fin de la maturation doit être jugée sur la clinique et les tests RX (fermeture des cartilages de croissance).
La scoliose idiopathique a d’autant plus de risque de s’aggraver qu’elle a débuté chez un enfant plus jeune, surtout en cas d’antécédents familiaux.
Attention !
La date d’apparition des premières règles ne correspond pas à la fin de la maturation et donc au terme de l’évolution de la scoliose
Dans la majorité des cas, la tolérance fonctionnelle des scolioses est bonne :
– les conséquences respiratoires ne concernent que les courbures thoraciques très graves > 100°.
– Sur le plan neurologique, il n’y a pas de risque de complication médullaire, sauf pour les cypho-scolioses majeures.
– la scoliose idiopathique n’est pas douloureuse, au point que l’association scoliose et douleur doit orienter vers une autre pathologie, en particulier tumorale.
– le retentissement esthétique et psychologique est très variable selon les sujets, mais constitue souvent un problème réel
A CHAQUE CAS, UNE ATTITUDE ADAPTEE
Une fois la scoliose découverte et le sujet correctement examiné, il faut informer l’intéressé et la famille, sans les inquiéter, sur les risques évolutifs et la nécessité d’une prise en charge régulière et prolongée.
Tout dépend de l’importance de la déformation et de la facilité de recours aux équipes spécialisés (orthopédie pédiatrique)
– si la courbure est déjà d’une certaine importance (gibbosité nette, période prépubertaire, Cobb > 25/30°), il faut adresser l’enfant à une équipe spécialisée afin de décider un traitement ;
– si la courbure est très modérée (< 20°) et que l’on soit assuré de la fidélité de la famille pour des consultations successives, on peut commencer une surveillance répétée. En effet, ces scolioses peuvent ne pas être évolutives, mais il faut 2 ou 3 contrôles successifs à 6 mois d’intervalle (clinique et radiologique) pour s’en assurer et éviter ainsi un traitement inutile.
– en cas d’aggravation démontrée, il faut impérativement traiter. Le traitement doit être décidé et mis en œuvre par une équipe spécialisée, qui pourra, après la mise en route du traitement, en confier la surveillance au médecin généraliste sous couvert d’informations précises et de relations suivies entre médecins.
– si aucune aggravation est constatée, tout traitement est inutile, y compris la kinésithérapie, mais la surveillance doit impérativement être poursuivie 2 fois / an
LES INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES
La décision de mise en route d’un traitement, son type et ses modalités, sa réalisation, sa responsabilité, le contrôle de l’efficacité, la durée et la décision de l’arrêt, relèvent du spécialiste.
Mais, c’est au généraliste, en raison de sa proximité, de sa connaissance du milieu familial, qu’incombe le rôle essentiel de suivi, en relation avec le spécialiste, dans cette période difficile de la vie de l’enfant, et encore plus de l’adolescent.
Le traitement est d’autant plus efficace qu’il est démarré tôt et à plus petite angulation possible.
1) Il est inutile de prescrire de la kinésithérapie systématique, sauf cas particulier, et surtout d’en renouveler l’ordonnance de façon prolongée et automatique. La kinésithérapie n’a pas fait la preuve d’une efficacité quelconque contre l’aggravation de la scoliose. Elle peut être utile pour renforcer la musculature, corriger les mauvaises attitudes, mais peut être avantageusement remplacée par une pratique sportive régulière qui n’est jamais contre-indiquée en cas de scoliose.
2) L’efficacité du corset est largement démontrée. C’est la base du traitement orthopédique (contention externe). Il s’adresse aux sujets en pleine croissances afin d’obtenir une correction partielle de la déformation, de la maintenir le mieux possible durant tout le reste de la croissance et à stabiliser la courbure pour aboutir en fin de croissance à un niveau tout à fait compatible avec une vie adulte strictement normale.
Il existe plusieurs types de corset C’est au spécialiste de faire le choix. Selon les cas et les stades du traitement, le corset sera porté 23h/24 ou seulement la nuit. Tous les corsets sont maintenant prévus pour permettre une vie courante et une scolarité normales. Le sport est autorisé.
Un traitement long, sur plusieurs années, jusqu’à la fin de la maturation. C’est un traitement relativement contraignant et parfois difficile à accepter psychologiquement, bien que tout soit fait pour permettre un habillement compatible avec les désirs de l’enfant. Le médecin généraliste a les meilleures clés pour assurer la régularité, l’acceptation et une compliance irréprochable de la part de l’intéressé.
Un traitement modulé
– les courbures importantes (> 20/25°) et en pleine croissance sont considérées comme évolutives et doivent être traitées d’emblée.
– les courbures de 30 à 45°, surtout si elles sont déjà un peu raides, peuvent être plus efficacement corrigées avec le port initial pendant quelques mois d’un corset plâtré avant le corset plastique
3) La chirurgie a beaucoup progressé, mais elle ne doit être envisagée qu’en dernier recours et dans des cas bien précis
Elle consiste à corriger la déformation, si possible dans toutes ses composantes 3-D, à l’aide d’une instrumentation métallique et fixer définitivement la correction obtenue par une greffe osseuse (arthrodèse).
Elle est indiquée uniquement :
– en cas d’échec d’un TO bien conduit qui ne parvient pas à juguler l’aggravation progressive ;
– quand la scoliose est déjà trop évoluée ou la maturation osseuse trop avancée pour permettre un Traitement Orthopédique ( 45 à 50° en Thoracique, 35 à 40° en Thoracolombaire) ;
Elle ne doit être réalisée que lorsque la maturation est déjà proche de sa fin, c’est à dire après l’apparition des premières règles, à Risser 1 ou 2, afin d’éviter :
– un arrêt de la croissance résiduelle et ses conséquences sur la taille finale ;
– la poursuite de l’aggravation de la courbure par effet vilebrequin de part et d’autre de la greffe.
Les suites opératoires se sont considérablement simplifiées : lever au 2/3e jour, aucune contention externe (ni plâtre, ni corset), sortie de l’hôpital au 8e jour, reprise d’une activité normale au 3e mois, reprise du sport au 6e mois
La correction obtenue peut être importante (60 à 70% de la courbure), avec amélioration de l’aspect de profil. La cicatrice est peu visible. L’esthétique très nettement améliorée. L’intervention permet une vie strictement normale à l’âge adulte, y compris en cas de grossesses, même répétées, et pour la pratique des sports courants.
Mais attention !
· la chirurgie n’est indiquée qu’en dernier recours car il s’agit d’une chirurgie lourde non dénuée de risque de complications dont certaines, même si elles restent rares peuvent être graves, en particulier sur le plan neurologique ;
· Il faut systématiquement refuser toute chirurgie « de complaisance » sous prétexte que l’adolescent (ou sa famille) pense ainsi guérir immédiatement la scoliose en évitant le traitement par corset, ou quand la demande concerne un défaut morphologique relativement mineur.